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23 mai 2009 6 23 /05 /mai /2009 20:54

La planche-contact et sa préhistoire

 

Par Michel Wiedemann

Maître de conférence à l'université de Bordeaux III

 

 

Article paru dans Les Cahiers de la Photographie, N° 10, 2ème trimestre 1983, aux pages 77-82. Cette revue trimestrielle, dirigée alors par Gilles Mora, ayant cessé de paraître, il nous a paru utile de rendre à nouveau accessible cet article sur une pratique que l'évolution ultérieure de la photographie a bouleversée.

 

 

Il y a dans la planche-contact telle que nous la connaissons aujourd'hui un ensemble de traits d'âge différent :

- C'est un tirage par contact.

- C'est la réunion sur une même feuille des épreuves de tout un film de petit format.

- Ce n'est pas un tirage livré au regard de l'utilisateur, mais une phase intermédiaire entre le développement et l'agrandissement, un outil de travail du photographe permettant une sélection des vues plus aisée que sur le négatif.

 

Le tirage par contact remonte aux origines de la photographie, avant même la publication du secret de Daguerre le 19 août 1839. Ne parlons pas des images obtenues par Friedrich Gerber auparavant, dont rien n'a survécu que leur description dans le Schweizerischer Beobachter du 2 février 1839. Le Rév. J.B. Reade avait obtenu également des images de la chambre noire et des copies par contact direct de dentelles et d'échantillons botaniques qu'il montra à la Royal Society en avril 1839. Hippolyte Bayard avait fait de même de son côté dès le 5 février 1839, avant de travailler à l'obtention d'images positives directes, qu'il atteint vers le 20 mars[i].  Mais l'exploitation la plus systématique du tirage par contact est due à W. H. F. Talbot, qui part d'une image négative sur papier pour obtenir un tirage positif. Ce procédé connu depuis sa communication à la Royal Society sous le nom de « photogenic drawing », amélioré par la suite, est breveté sous le nom de calotype le 8 février 1841, puis rebaptisé talbotype  à partir de 1846. On trouve en français la description de ce procédé avec celle du châssis-presse, dans un opuscule de 1840[ii]. Mais il ne s'y trouve aucun terme qui désigne l'ensemble de ce processus longuement décrit. Le mot tirage est employé depuis 1680 au moins dans le domaine de l'impression typographique et de la gravure[iii]. Son emploi en photographie ne date pas de 1923 comme l'indique la même source. On trouve « tirer une épreuve » dès 1858 dans un petit lexique photographique et le substantif tirage apparaît comme titre d'un chapitre du Manuel Roret consacré à la photographie en 1862[iv]. La locution « tirage par contact » attestée en 1949 [v]est citée en 1973 dans le Petit Robert, mais seul le Grand Robert mentionne l'emploi spécial du mot contact avec le sens de « tirage par contact », voir infra. On connaît dans les laboratoires un appareil en forme de caisse, contenant des lampes électriques, ayant sur sa face supérieure un verre dépoli et un couvercle articulé : on le désigne du nom de tireuse-contact en 1965 [vi]et cet effacement de la préposition est l'indice d'une certaine fréquence en discours.

La planche-contact réunissant sur une même feuille les tirages par contact de tout un film est le résultat de plusieurs inventions. Au lieu de plaques de verre collodionné, Eastman employa en 1888 le roll-film de gélatino-bromure sur fond de papier. La gélatine en était transférée sur verre lors du développement puis copiée par contact. Le Rév. Hannibal Goodwin inventa, lui, le film sur celluloïd transparent en 1887. Eastman, qui appliqua l'idée à ses appareils, fut condamné après un long procès, à verser des dommages et intérêts aux héritiers de l'inventeur. Puis Thomas A. Edison mit au point les perforations du film en 1893. Enfin le petit format, celui que permettait le film cinématographique de 35 mm, fut employé en photographie dès 1912 par George P. Smith de Missouri, par Levy-Roth  de Berlin en 1914 et la même année par Oscar Barnack pour le prototype du Leica[vii] .Les éléments de la planche-contact étaient donc réunis en 1914 , mais elle n'est entrée dans les usages que bien après, et les histoires de la photographie ne signalent pas son apparition. A notre connaissance, la première description de la chose apparaît en 1949 : « Les épreuves-témoin » : 

« Afin de pouvoir retrouver un négatif parmi beaucoup d'autres en très peu de temps, il est recommandé de faire tirer des bandes positives par contact de chacun des films... Les épreuves seront par la suite collées sur des cartons ou dans un album, chaque feuille portant le numéro de référence du film. ... L'agrandissement, exceptionnel jadis, est devenu le procédé normal de tirage pour les négatifs de petit format ; en effet on ne tire guère une bande de contacts directs  que comme « témoin » des vues enregistrées[viii]. »

On remarque dans ce texte de 1949 l'emploi de contact pour « épreuve obtenue par contact » . Mais il ne s'agit pas encore de planches : ces « bandes-témoin » étaient tirées sur un rouleau de papier perforé comme le film de 35 mm et découpées ensuite par files de six vues comme le négatif. Bandes(s)-témoin(s) est attesté depuis 1954 [ix].

La planche-contact apparaît, à notre connaissance, vers 1970 , avec l'instrument appelé tireuse de films en bande par l'importateur de la marque anglaise Paterson[x]. La figure illustrant son annonce montre plus clairement que la dénomination choisie, que les bandes de six vues 24 x 36 mm sont juxtaposées et tirées  sur la même feuille de papier de 24 cm de côté. Le nom de la chose apparaît dans un texte qui en indique aussi l'usage : « on fera donc faire par un laboratoire de traitement une planche de contacts. De cette façon, on pourra écarter les plus mauvaises images et au contraire  mieux choisir celles qui feront l'objet d'agrandissement [xi]».

La même année, on relève déjà l'abrègement du mot par ellipse de la préposition de :

« Lorsque l'on regarde ses planches contacts, on s'aperçoit que toutes ses vues sont, ou peu s'en faut, aussi bonnes les unes que les autres[xii] ».

Le pluriel contacts montre que le mot est senti comme résultant de l'effacement de la préposition de devant le mot contact au sens de « tirages par contact ». C'est sur le  même modèle que sont formés en français coin (pour la) cuisine , grève (par ) surprise, assurance (contre la) maladie. Après viendra planche - contact, qui suppose une autre motivation : planche obtenue par contact. Mais ce mot n'est pas encore dans les dictionnaires. Dans l'International Glossary of Photographic Terms  publié par Kodak en 1973, l'anglais contact-print est traduit par  Kontaktbild, épreuve par contact, stampa a contatto. Dans un autre ouvrage traduit de l'anglais qui explique l'usage de la planche de contact préalable à l'agrandissement, on lit : « la feuille de tirage par contact : un rouleau entier en une seule fois[xiii]. Le mot planche-contact n'aurait pas plus de 12 ans d'âge [en 1983].

Si l'on ne retenait pas pour définir la planche-contact sa fonction d'outil de sélection, on pourrait lui trouver un ancêtre dans la photographie multiple pratiquée au XIXe siècle. Les frères Mayer réunissaient sur la même plaque daguerrienne ou sur le même papier préparé plusieurs images grâce au châssis multiplicateur  breveté sous le n° 10416 le 27-10-1850. La planche de cartes de visite de Disderi (brevet n° 21502 du 27-11-1854) était probablement obtenue de la sorte avant d'être produite directement par les appareils à 4 objectifs des frères Gaudin ou de Pierson (1860), qui donnaient des planches de huit images. La finalité de ce procédé est clairement indiquée par Disderi :

« Mon procédé consiste d'abord à préparer un cliché qui ensuite permet d'opérer à la fois sur un nombre d'épreuves assez grand  pour que les frais se trouvent très minimisés, étant répartis sur chaque épreuve[xiv]. »

La planche de cartes de visite juxtaposait des poses identiques ou non[xv] que seul le photographe voyait réunies. Le client les recevait collées sur des cartons séparés. Par sa finalité économique, par son aspect, par son statut de phase intermédiaire et enfin par le déroulement chronologique qu'elle représente, la planche de cartes de visite est bien l'ancêtre de la planche de contact. 

 

Michel Wiedemann

Université de Bordeaux III.

 

 



[i]  GERNSHEIM (Helmut and Alison ), A Concise History of Photography , London, Thames and Hudson , 1971, p. 26.

[ii] Aux pages 50 &  51 du Guide de l'amateur de photographie ou exposé de la marche à suivre dans l'emploi du daguerréotype et des papiers photographiques, par J. F. Soleil. Paris, 1840, chez l'auteur, 79 p., 14,5 cm.

[iii] Grand Larousse de la Langue Française, s.v. tirage.

[iv] Respectivement dans LATREILLE (E. de ), Almanach-Manuel  du photographe pour 1858, Paris, Mallet-Bachelier, 78 p. dans le lexique des pages 32-33 & dans VALICOURT (E. de ), Manuels-Roret, Nouveau Manuel complet de photographie sur métal, sur papier et sur verre, Paris, Roret , 1862, t. 2, ch. 5, p. 201.

[v] In Le Photo-Almanach Prisma, Paris, les éditions Prisma, 1949, p. 329 : « Les papiers Ridax pour tirage par contact. »

[vi]  CUISINIER (A. H.), Leçons de photographie théoriques et pratiques, Paris, Publications Photo-cinéma Paul Montel, 6ème éd., 1965, p. 216 : « tireuse-contact à rhéostat (Gilles-Faller) ».

[vii] D'après GERNSHEIM, op. cit., p. 50.

[viii] In La Photographie Petit Format, 3ème édition revue et corrigée, Paris, 1949, Kodak-Pathé, S.A.F. , 192 p. aux pp. 157-158.

[ix] Annonce Volomat in Photo-Cinéma Magazine n° 630 , avril 1954 : « Color contact tireuse 24 x 36 - 24 x 24 -18 x 24 ...on peut tirer des bandes-témoin sur papier perforé de 35 mm bromure ou gaslight ». Dans le n° de mars, on lit « des bandes témoins » .

[x]  Annonce Paterson-Scop, in Photo n° 37, octobre  1970, p. 16.

[xi] Marie Dubois « Nos enfants sont-ils doués pour la photo ? » in Photo n° 31, avril 1970, p. 54.

[xii] Raymond Depardon, in Zoom n° 5, novembre-décembre 1970, p. 108.

[xiii] In Le développement et l'épreuve, 1972, Editions Time-Life Intenational  (Nederland ) B.V. p. 94.

[xiv]  Extrait du brevet cité plus haut.

[xv]  On peut en voir dans NEWHALL (Beaumont), The History of Photography, London, Secker and Warburg, 1964, p. 53.

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