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20 mai 2009 3 20 /05 /mai /2009 00:00

Le dernier souffletier de Bordeaux

Etude technique et terminologique d'un artisanat disparu

par

Michel Wiedemann

maître de conférence à Bordeaux III

 

 

Notre propos est ici de décrire un instrument méconnu et aujourd'hui presque sorti de l'usage, le soufflet, dont nous avons pu interroger et filmer le dernier fabricant bordelais, M. Pierre Vivez. Nous avons déjà étudié[1] le catalogue de la maison Vivez publié par son grand père en 1902. Mais le catalogue présente à un public de clients des produits finis sans entrer dans les détails de la fabrication. Il nous a semblé utile de les préciser par le texte et par l'image, en filmant les opérations[2] en vidéo. Nous avons par ailleurs cherché des descriptions antérieures du soufflet dans la littérature et l'archéologie antiques et dans l'Encyclopédie de Diderot, afin de comparer les techniques et le vocabulaire de notre souffletier avec celles de ces sources anciennes et de dégager la portion, certes infime, de vocabulaire régional à l'intérieur de ce technolecte. Dans la suite du texte, nous avons marqué d'un astérisque les mots qui ne figurent pas dans les dictionnaires ou qui n'y ont pas le sens technique qu'ils ont dans le domaine précis qui nous occupe.

 

 

1. Les soufflets primitifs et antiques.

Le soufflet est la base de notre civilisation . Jamais l'homme ne serait passé de la pierre au bronze, puis du bronze au fer sans soufflet qui attisât son feu. Cette évidence est assez oubliée pour être rappelée au seuil de cette étude.

Les premiers soufflets de l'humanité, faits d'une paire d'outres manœuvrées alternativement étaient encore en action dans les forges traditionnelles d'Afrique au début de ce siècle[3], tandis que l'Océanie est restée à l'âge de pierre jusqu'à l'arrivée des Européens.

L'ancienneté du soufflet peut se déduire de la présence d'une même racine pour désigner l'objet dans diverses langues indo-européennes. Les noms indo-européens du soufflet se trouvent dans des ouvrages comme le Dictionnaire des racines des langues européennes [4], sous l'entrée bhel - III. De la racine hypothétique bhel- , "souffler, gonfler" sont issus le latin flare, et ses dérivés flatare, souffler, flabellum, éventail, flatus, souffle, conflare , former en soufflant, deflare, souffler sur, inflare, enfler, sufflare , souffler. De là vient le français soufflet . Une autre série présente le degré o de la racine: latin follis, soufflet, folliculus, petit sac. Le mot follis désigne encore l'outre, la bourse de cuir, l'estomac ou les poumons gonflés. De la forme germanique bald , hardi, dérivent l'ancien français bald, hardi, qu'on retrouve dans s'ébaudir, s'enhardir, baudet, mais aussi balle, ballot, baluchon. De là aussi l'allemand blasen, souffler, die Blase, la vessie, Ball, la balle. Il faut postuler une racine élargie bhelgh - ,"gonfler, soufflet" commune au sanscrit barhis, coussin, au mot d'origine gauloise bulga, à l'ancien français bolge, sac de cuir, bogue , enveloppe de châtaigne, bouge, partie renflée du tonneau. De là aussi l'anglais belly , gonfler, bellows, soufflet, bilge , ventre de barrique, bulge, bomber, l'allemand Balg, cosse, soufflet [5], et Polster, coussin . En allemand moderne, soufflet se dit Blasebalg, formation redondante, ou Gebläse qui est un dérivé collectif, plus général, apparu au XVIe siècle, désignant le soufflet et tout appareil de ventilation[6] . Il y a donc, dans des langues indo-européennes, des noms du soufflet apparentés à divers degrés et issus des racines *bhel- ou *bhelgh-. Mais toutes les langues indo-européennes ne se servent pas de cette seule racine, à preuve les dénominations grecques et latines .

N0446.jpgDaremberg et Saglio, Dictionnaire..., s.v. Follis

Le soufflet apparaît dans le chant XVIII de l'Iliade, quand Thétis aux pieds d'argent demande à Héphaïstos des armes pour son fils Achille.

Ton de eure idrownta  elissomenon peri fusai

Speudonta

(Elle le trouve tout suant, roulant autour de ses soufflets, affairé.)

Iliade, XVIII , 372-73

Au moment de passer à table, il range ses soufflets avec ses autres outils dans un coffre d'argent. Se remettant à l'ouvrage pour satisfaire Thétis, Héphaïstos met vingt soufflets en marche auprès de sa fournaise et comme il est dieu et mécanicien, ses soufflets marchent tout seuls. Il les emploie à fondre le bronze :

 

Il dit et la laissant, se dirige vers ses soufflets .

Il les tourne vers le feu et les invite à travailler.

Et les soufflets, vingt en tout, de souffler dans les fournaises.

Ils lancent un souffle ardent et divers, au service de l'ouvrier,

Qu'il veuille aller vite ou non ,

Suivant ce qu'exigent Héphaïstos et les progrès de son travail.

Il jette dans le feu le bronze rigide, l'étain,

L'or précieux et l'argent.

Iliade , XVIII, 468-475 .Trad.P.Mazon, Les belles lettres, 1961.

 Le soufflet s'appelle donc en grec h fusa, pluriel fusai Le mot aurait un radical onomatopéique fut-. La description d'Homère ne permet pas de savoir à quoi il ressemblait.

Dans la scène correspondante de l'Enéide, Virgile évoque des soufflets aux mains des Cyclopes acolytes de Vulcain :

…Alii uentosis follibus auras

accipiunt redduntque, alii stridentia tingunt

aera lacu.

(Les uns reçoivent et renvoient l'air avec des soufflets qui font le bruit des vents,

les autres trempent dans un bassin l'airain qui siffle).

Virgile, Aeneidos liber VIII, v. 449-450.

Dans la scène antérieure où Vénus demande des armes à Vulcain, il lui répondait :

Quantum ignes animæque valent, absiste precando

viribus indubitare tuis. "

(Tout ce que mes forges et mes soufflets sont capables de produire, tu l'auras.

Cesse de me prier: tu n'as pas à douter de ta force. )

Virgile , Aeneidos liber VIII, v. 404-405.

Le mot courant est donc follis, le nom poétique, plus général, est anima, "souffle", à rapprocher du grec (anemoj. Tite-Live dit follis fabrilis pour le soufflet de forge. Mais les textes ne disent rien de la forme et de la matière de ces soufflets littéraires.

On en trouve cependant des représentations dans les bas-reliefs sculptés. Le soufflet tel que nous le connaissons en Europe est déjà en usage chez les Romains et ne connaît guère de changement jusqu'à l'époque moderne, à en juger de l'extérieur [7]. S'il s'appelle aussi follis, c'est que le mot ancien, désignant un sac de peau gonflé, reste attaché à l'objet même quand sa forme a changé, parce que sa fonction demeurait identique.

  N0447.jpg

Daremberg & Saglio, s.v.Follis:  Soufflets romains figurés dans des lampes à huile

2. Les soufflets de l'Encyclopédie de Diderot .

 

Les descriptions de soufflets dans l'Encyclopédie de Diderot sont éparpillées dans les volumes de planches entre balancier[8], orfèvre-jouaillier-metteur en œuvre[9], maréchal ferrant et opérant [10], marine[11] , orgue [12], forge [13], boucher [14], ferblantier[15], serrurier et boisselier[16] et les articles correspondants des volumes de texte : soufflet [17].   soufflets-encyc262.jpg

Le fabricant de soufflets d'orgue y est appelé facteur, celui qui le manipule est le souffleur[18]. Le fabricant des autres soufflets a pour nom boissellier ou boisselier : "On voit dans la vignette les différentes sortes de marchandises que ces ouvriers vendent ou fabriquent, comme tambours, tambourins, boisseaux, seaux ferrés, sabots, pelles, tamis cribles, soufflets , etc. " Encyclopédie, Planches, s.v. Boissellier [sic], planche Ière. Plus loin, on le désigne comme "ouvrier occupé à faire un soufflet", ibidem, N°2.

soufflets-encyc265.jpgEncyclopédie de Diderot, s.v. Boisselier

Les soufflets montrés dans cette planche sont de deux sortes: soufflet ordinaire et soufflet à deux vents. Les bois du premier sont de forme ovale, il a une seule chambre prise entre les deux bois, avec une peau à trois plis. Le soufflet à deux vents a trois bois de forme trapézoïdale, mais seulement deux poignées, prolongeant le bois inférieur et le bois médian . Il y a un pli entre le bois supérieur et le bois médian, deux plis entre le bois médian et le bois inférieur. Dans la planche I de Boucher, on voit une troisième sorte de soufflet, qui a des bois de forme ovale prolongés par des poignées aussi grandes que le reste de l'instrument, le soufflet à bœufs et à moutons . Il a une seule chambre, quatre plis et des garnitures renforcées. Il est accompagné d'une "broche qu'on introduit par le bout a dans une fente qu'on fait à la peau du ventre du bœuf, pour y introduire ensuite les soufflets. " (Planche Ière, N° 12) .



soufflets-encyc266.jpgEncyclopédie de Diderot, s.v.Boisselier

On mentionne encore parmi les outils du boisselier destinés spécialement aux soufflets :

— "Chevalet à planer le merrein pour le seau ferré & les soufflets" (Planche I, N°3)

— "Fer à repasser le cuir des soufflets . On le fait chauffer pour s'en servir." (Planche II, N°11)

— Mandrin de fer pour les douilles des soufflets." (Planche II, N°16)


soufflets-encyc263.jpg 

Encyclopédie de Diderot, S.v. Forges , Soufflets de forge
Le soufflet de forge est traité sous le mot Forges , 2ème section, Fourneaux à Fer, Soufflets, Planche V. C'est un emboitement installé à demeure sur un bâti de poutres de deux caisses de bois en forme de pyramide tronquée, articulées entre elles par une cheville en métal dite cheville ouvrière . On y trouve "la *tête [ le plus large des deux petits côtés de la caisse]," la têtière dans laquelle la buse du soufflet est fixée" [la têtière est le plus étroit des petits côtés] . Le fond, ou caisse inférieure du soufflet, est percé de "soupapes ou venteaux par lesquels l'air extérieur entre dans le soufflet lors de l'inspiration . Le tour de chaque soupape est garni de peau de mouton en laine, aussi bien que la partie du fond de la caisse où elles s'appliquent ." La soupape est bridée par une corde ou une courroie qui l'empêche de se renverser lors de l'aspiration . La chambre du soufflet est divisée en deux par une cloison destinée à arrêter les étincelles qui pourraient entrer dans le soufflet par la buse . Les parois de cette partie antérieure menacée par le feu sont garnies intérieurement de fer blanc . La caisse supérieure du soufflet s'appelle le volant . La caisse est "formée de madriers ordinairement de sapin de trois à quatre pouces d'épaisseur assemblés à raînures & languettes rapportées". Elle recouvre entièrement la caisse inférieure . Sur le dessus se trouvent des "boîtes ou crampons fixés solidement à la partie supérieure du volant pour assujettir la *basse-conde[19]." Celle-ci est une tige de fer élargie au bout qui "reçoit l'effort des cames de l'arbre de la roue des soufflets".L'intérieur est renforcé par des tringles de bois qui "sont ce qu'on appelle liteaux dont l'effet est de clore le soufflet , en s'appliquant exactement aux parois intérieures des quatre côtés du volant". Le volant est suspendu par les trous de deux tiges de fer appliquées sur la tête . Le soufflet de forge est terminé par une "buse qui répond à la thuière" et porte la longueur du tout à vingt pieds quatre pouces. 

Dans l'article soufflet correspondant à ces figures[20], et rédigé par le prolifique chevalier de Jaucourt (D.J.) après les volumes de figures, on trouve une définition qui se veut générale :

"SOUFFLET, s.m.(Art méchanique) est un instrument dont le méchanisme consiste à pomper l'air & à le pousser contre le feu ou toute autre chose, par le moyen d'une âme ou soupape de cuir, qui est attachée au bois de dessous , & tenue lâche et aisée, de façon qu'elle s'en éloigne quand on leve celui de dessus, & revient s'y appliquer dès que par une légere pression on rapproche les deux bois l'un de l'autre; par là l'air ne pouvant ressortir par où il est entré, s'échappe nécessairement par un trou pratiqué exprès au bout du soufflet. Le soufflet est composé de deux ais, au bord desquels est clouée une peau, d'une douelle placée à l'une des extrémités des ais, & d'une soupape attachée en-dedans à l'ouverture de l'ais du dessous; il est évident qu'en écartant les ais, l'air est attiré en-dedans du soufflet par l'ouverture de l'ais de dessous; qu'en les rapprochant, la soupape s'abaisse, & que l'air est chassé par la *douelle. Voilà en général à quoi se réduit toute construction de soufflet quelle qu'elle soit."

 

soufflets-encyc269.jpgEncyclopédie de Diderot, s.v. Boisselier

L'auteur énumère ensuite les soufflets en oubliant quelques éléments :

"SOUFFLET, outil d'Arquebusier ; ce soufflet est comme celui des serruriers, suspendu de même , & a le même mouvement. [ mais le soufflet de serrurier n'est pas traité dans l'article, ni dans les planches. C'est en tout cas un soufflet de forge.]

SOUFFLET QUARRÉ , en terme de Boisselier, c'est un un soufflet qui ne diffère du soufflet ordinaire que par de petites feuilles de bois de fourreau qu'on y colle intérieurement à la place des verges. [ Ces verges sont les brins flexibles qui maintiennent les plis de la peau du soufflet ordinaire. Les plis du soufflet quarré sont composées de plusieurs pièces de bois et de cuir plié à chaud par un fer à repasser spécial, assemblées à la colle .]

SOUFFLET QUARRÉ A DOUBLE VENT, en Boisselerie; on appelle ainsi des soufflets qui pompent le double d'air des autres , par le moyen d'une planche qu'on y met de plus, & d'un ressort qui s'y ajoute. [ On le voit terminé dans les planches, mais rien n'est montré du ressort, ni de la disposition interne des pièces.]

SOUFFLET, outil de Ferblantier; ce soufflet est beaucoup plus petit que les soufflets d'orgue, & est exactement fait comme eux. Il sert aux ferblantiers à allumer le feu avec lequel ils font chaufer leurs fers à souder. Voyez les Pl. du Ferblantier.

SOUFFLET (Forges) Voyez l'article Grosses Forges , où le soufflet de ces usines est décrit.

SOUFFLETS DE L'ORGUE, représentés Pl. d'orgue. [ Les soufflets d'orgue chassent l'air par les porte-vents dans la laie du sommier . Ils comportent deux tables de bois, la table inférieure est percée de deux ou trois trous. On y ajuste les soupapes qui chacune ferment un trou. On place entre les trous la pierre qui comprime le soufflet par son poids. Il y a des barres de bois à l'intérieur.] "Les pièces EE qui composent les plis des côtés du soufflet s'appellent éclisses, & les pièces T fig; 24 qui composent les plis de la tête du soufflet s'appellent têtieres. Toutes ces pieces, tant les éclisses que les têtieres, sont faites de bois d'Hollande refendu de l'épaisseur d'un quart de pouce."[ Les barres de bois placées à l'intérieur sont reliées entre elles par des cordes d'un calibre convenable ] "& on les arrête avec des chevilles enduites de colle , que l'on enfonce à coups de marteau, & que l'on arrase ensuite aux faces intérieures des barres.[…] On couvre le côté qui doit regarder l'intérieur du soufflet, aussi bien que le côté intérieur des tables, de parchemin bien collé, afin que l'air condensé , dont le soufflet est rempli, ne s'échappe pas au-travers des pores dont les planches sont fort remplies.[…] Lorsque le parchemin est sec, on assemble les éclisses les unes avec les autres avec des bandes de peau de mouton parées. Ces bandes qui servent aussi à assembler de même les têtieres, sont collées sur la partie convexe du pli , en sorte que les bandes de peau des plis saillants sont collées à l'extérieur du soufflet, & les bandes des plis rentrans regardent l'intérieur ." [On y ajoute des pièces de peau, le rabat, les demi-aisnes, les aisnes et les ronds assemblées à la colle pour parfaire l'étanchéité. La sortie de l'air est nommée le gosier.Un dispositif évite le renversement de la soupape: elle est en bois de Hollande , doublée de peau collée du côté glabre. La table l'est aussi, de sorte que les deux duvets se rencontrent, ce qui atténue le bruit, particularité des soufflets d'orgue ].

On ne dit pas dans l' Encyclopédie la provenance régionale des informations exploitées par le rédacteur. Les vocables dénommant les éléments de ces soufflets sont généralement traités dans les dictionnaires d'une certaine étendue, dont les auteurs s'inspirent étroitement de l'Encyclopédie.

 soufflets-encyc264.jpg

Encyclopédie de Diderot, s.v.



3. Les espèces de soufflet de la maison Vivez de Bordeaux en 1902.

 

Les soufflets  de la maison Vivez se classent suivant leur fonction . Rappelons pour mémoire ces variétés qui sont définies et dessinées dans l'article cité à la note 1:

— soufflet de cuisine : ils ont plusieurs tailles, mesurées par le diamètre maximal du bois et plusieurs présentations, certains ont des manches plus longs, mais ont la même fonction: attiser le feu domestique .

— soufflet de forge : il en existe plusieurs sortes : modèle de Paris (bois dur, hêtre ou chêne), modèle de Bordeaux (bois de peuplier), modèle belge ou hollandais, i.e. ovale, presque triangulaire. Ils donnent une forte pression d'air et produisent, grâce à une construction spéciale à deux chambres, un souffle continu. Ils sont installés à demeure . On mesure leur puissance par la chauffe en cm2: le temps qu'il faut pour chauffer un fer de telle dimension. On trouve aussi un soufflet renfermé dans une boîte en tôle sous le foyer des "forges portatives" vendues par la maison Vivez.

— soufflet d'étameur: petit soufflet de forge monté sur un châssis transportable, ayant deux chambres et donnant un souffle continu.

— soufflet de boucher: soufflet portable à long bout et longs manches. Ces longues poignées servent à faciliter l'effort du boucher qui sépare de la chair la peau des bêtes abattues en y insufflant de l'air .

— soufflets de tonnelier:

• soufflet à soutirer: soufflet monté sur des pointes de métal, destiné à être posé sur les fûts et doté d'un embout de bois dirigé vers le bas qu'on engage dans le tonneau pour y injecter de l'air qui accélère le soutirage, c'est-à-dire le transfert du vin d'un tonneau dans un autre . Une version ultérieure du soufflet à soutirer se présente sur quatre pieds et se pose à côté du fût pour éviter de le remuer au cours de l'opération.

• soufflet à essayer les fûts: soufflet servant détecter les fuites d'un fût. C'est un soufflet à soutirer réduit à cette seule fonction par l'invention de machines à soutirer montées sur pieds. Lorsque le fût est étanche, le soufflet ne peut se vider puisqu'il rencontre la résistance de l'air comprimé à l'intérieur. Mais si le tonneau fuit, le soufflet peut se vider.

— soufflet à vigne: soufflet en bois et/ou en fer blanc contenant dans une boîte annexe, fixée sur l'un des bois, du soufre à pulvériser sur les végétaux. On les désigne aussi comme soufflets agricoles ou soufflets pour l'agriculture.

 

4. Les pièces du soufflet.

 

4.1.Les parties ligneuses:

4.1.1. Les bois

Ils sont sciés dans l'atelier du souffletier ou livrés tout faits par un fabricant spécialisé.

Les soufflets de cuisine sont généralement en hêtre, bois dur . L'acajou sert pour les soufflets de salon luxueux. M. Vivez fabriquait les bois chez lui, se fournissait aussi en bois déjà faits à la Souque d'Anglès dans le Tarn . Les gros soufflets de mouleur ou de zingueur, sont en platane ou en carolin pour les bois tendres, les soufflets à vin ou de forge sont en bois dur, c'est-à-dire en chêne ou en hêtre.

Le bois du bas comporte en son centre le trou sur lequel on met la soupape. On en a détaché auparavant à la scie la planche de dessus, mais on ne scie pas de part en part. Le bois de dessus est mobile et va recevoir la garniture qui assure l'étanchéité et forme la charnière des deux bois.

On caractérise les bois par leur diamètre : bois de 16, de 18 de 20, de 22 (centimètres).

 

4.1.2. L'orégon / fragon / gringon / petit houx:

Noms synonymes du Ruscus aculeatus, liliacée à feuilles pointues, aux extrémités piquantes, portant en septembre des baies rouges, dont les branches servaient à faire des balais rustiques et fournissaient des baguettes flexibles de 8 mm, fixées à l'intérieur du soufflet sur le bois inférieur et maintenant en place les plis de la peau du soufflet. . On entoure les deux bouts de la tige d'orégon avec du papier pour éviter que l'orégon ne se fende quand on le fixe avec des clous. M.Vivez se fournissait à Cadaujac et à Saint Médard d'Eyrans, chez Mme Vime, au nom prédestiné . Gringoun est un mot gascon, fragon est un nom  de français commun. Oregon est inconnu des lexicographes en ce sens.

 

4.2. Les parties en cuir, id est  la garniture.

Le cuir provenait de Mazamet, de Graulhet et de tanneries bordelaises . Il faut prendre le cuir dans le sens de la longueur de l'animal, sauf pour les lanières qui ne doivent pas s'étirer. On découpe les parties en cuir au tranchet en suivant le contour du calibre en fer blanc prévu pour chaque taille de soufflet et pourvu d'une poignée en son centre. On distingue le collet, le faux-collet, le rivage, le tour de nez, les oreillons, la soupape, les lanières et la peau, qui est la plus grande pièce. 

Pour joindre la partie fixe à la partie mobile du soufflet, il y a le faux collet et le collet . Ces pièces de cuir font la charnière joignant la partie fixe et la partie mobile du soufflet et en assurent l'étanchéité. Le faux collet et le collet se clouent sur la planche de dessus et sur les côtés de la planche du dessous. Le faux collet est placé sous le collet et ne se voit plus à la fin du montage. On y emploie une matière moins belle à voir que pour le collet, partie visible. Les deux parties se renforcent parce qu'elles ont beaucoup d'usure du fait des mouvements des bois.

Ensuite on pose le rivage, bande de cuir plus étroite; clouée sur le bois mobile par dessus le collet et le faux-collet. Le rivage est rectangulaire dans les soufflets ordinaires, en forme de moustaches pour les rivages dits "à cœur". On le cloue sur le bois supérieur mobile de façon qu'il soit à cheval sur le collet et sur le bois .

On met de l'autre côté le tour de nez, bande de cuir rectangulaire, un peu plus étroite que le rivage, qui rend solidaires la partie supérieure et la partie inférieure et maintient  sur les planches le collet et le faux-collet en les serrant du côté de l'embout.

Les oreillons : morceaux de cuir étroits qui servent à fixer les 4 lanières du soufflet. Chacune des deux lanières de cuir assurant l'étanchéité du soufflet autour des poignées. La forme est celle d'une oreille dans les gros soufflets . Cet appendice semi-circulaire , qui manque sur les petits soufflets de ménage, sert à protéger la peau du frottement des clous fixant l'oreillon. Mais Littré signale: "Oreillons m.pl. Nom qu'on donne aux raclures de cuir de bœufs, de vache et d'autres animaux, destinées à faire de la colle forte ; apparemment parce qu'il s'y trouvait beaucoup d'oreilles".

La peau est de la basane, peau de mouton tannée souple pour les soufflets de cuisine, du veau ou de la vache pour les gros soufflets . On y distingue le côté chair et le côté fleur. La pièce de peau, de la forme d'une mandorle, est découpée dans une pièce de basane au moyen d'un tranchet en suivant le contour d'un calibre en fer blanc posé sur le cuir. En la pliant en deux, on y découpe deux encoches par lesquelles on l'enfilera sur les poignées.

Les lanières de cuir, larges d'un centimètre, sont tendues par dessus les bords de la peau et sont clouées sur le côté des bois.

La soupape, carré ou triangle de cuir, doublé de carton ou d'une carte à jouer réformée, vendue par une marchande spécialisée .

 

4.3.Parties métalliques

 

4.3.1. Le bout, alias la tuyère ou le porte-vent : tube en métal de forme conique fait en fer blanc roulé ou cône embouti . On le cloue de deux pointes sur l'embout sortant du bois inférieur.

 

4.3.2. Les clous

Ce sont des guingassons[21], clous de section carrée à tête plate et circulaire, sinon leur tête traverserait le cuir. On les emploie aussi à fixer la soupape et à fixer sur le bois les deux extrémités de la baguette de gringon.

 On emploie aussi pour les gros soufflets des platirons, clous d'une seule pièce dont la tête est circulaire et bombée[22].

 

4.4. La soupape

La soupape est un triangle ou un carré de cuir, renforcée d'un carton provenant de cartes retirées de l'usage, achetées à une détaillante, Mme Salinier, rue de Guyenne à Bordeaux, qui les vendait aussi aux pharmaciens pour leurs préparations.

 

5. La fabrication du soufflet.

On commence par clouer sur le bois inférieur la soupape et le brin d'orégon qui doit faire le tour du soufflet sans dépasser le bois. Les planches sont calées dans une encoche de l'établi durant le travail .

 

On pose sur la planche supérieure le collet, le faux collet, le rivage, on les cloue ensemble sur le bois supérieur, le rivage mordant sur le collet et le faux collet. La planche est alors dite habillée . Ensuite la planche supérieure est posée sur l'inférieure, on met ensuite la peau, les 2 oreillons, les lanières, on tend la peau d'un côté et de l'autre, on tend les lanières, on rabat les garnitures. On pare le soufflet terminé en coupant tout ce qui dépasse le bord du bois.

 

 

6.  Autres vocables techniques relevés durant l'enquête.

 

Arçonné: part. passé.: Se dit du soufflet muni seulement de sa garniture .

Bois: n. m. L'Encyclopédie parle d'ais pour les mêmes objets . Le mot est inusité chez M. Vivez.

Enviroler  v.t. Découper une pièce de fer blanc et la passer dans un appareil à manivelle qui la forme en cône dont les bords sont prêts à être rabattus l'un sur l'autre.

Habillé : part. Passé.Se dit du soufflet muni de sa peau et de sa garniture.

Parer : v.t. Enlever au tranchet le cuir qui dépasse les bois.

Pointer : v.t. Fixer avec des pointes, i.e. des clous.

Rabattre : v.t. Frapper une pièce de fer blanc avec une batte pour lui donner la forme d'un cône.

Souffletier : n.m. fabricant de soufflets. Le mot est absent de Littré, de Bescherelle, de Landais, du T.L.F. et du G.L.L.F. Il est daté 1292 sans autre précision dans le Petit Robert 1984, qui le définit seulement comme " ouvrier qui fabrique des soufflets d'orgue ".

 

 

7. Psychologie du soufflet.

 

Le soufflet se termine par une pointe creuse qui projette un fluide et ces traits suffiraient à en faire une image du phallus.Si l'on considère que les soufflets primitifs y ajoutent deux outres gonflées, ressemblant à des testicules et que l'action du phallus peut gonfler le ventre des femmes, on comprendra pourquoi le soufflet est employé dans des rituels carnavalesques méridionaux, qui avaient pour nom les processions de souffle-à-culs. Des porteurs de soufflets s'en prenaient aux dames dont ils soulevaient les robes.[23]Dans les cortèges de Nontron, photographiés en 1947, le soufflet éponyme n'est plus qu'un souvenir : les participants traînent un simulacre géant de soufflet en carton et en bois. Quelques soufflets Vivez ont paru dans des processions carnavalesques de Bordeaux durant les années 1970. Mais aujourd'hui, ils ne trouveraient plus de robes à soulever.

 

8. Le soufflet dans la maison contemporaine.

 

Dans Le système des objets (1968) Jean Baudrillard distingue le système fonctionnel et le système non-fonctionnel, refuge du discours subjectif . Il distingue encore dans le système non fonctionnel, l'objet marginal, c'est-à-dire l'objet ancien, du système marginal, qui est celui de la collection. Nous avons vu dans notre article cité à la note 1 que le soufflet a été remplacé dans presque tous ses usages, sauf l'usage domestique. Aujourd'hui, le soufflet se vend donc encore sur les marchés avec les ustensiles de ménage pour les derniers campagnards à faire du feu dans une cheminée ou une cuisinière, mais surtout dans les supermarchés et chez les marchands de cheminées, situés en bordure d'autoroute dans les centres commerciaux où s'équipent les citadins. Le soufflet est classé par l'annuaire téléphonique et le minitel parmi les "accessoires de cheminées d'intérieur". Il profite de cette vogue de la cheminée, technique de chauffe dépassée, dans nos maisons éclairées et chauffées par de l'électricité nucléaire, mais réemployée pour ses fonctions esthétiques et ses connotations psychologiques : donner une ambiance par sa prétendue authenticité, par son "historialité". Ce sentiment se renforce par la contemplation dans la cheminée d'un feu réel ou simulé par des braises en plastique éclairées électriquement de l'intérieur. Les rêveries de Gaston Bachelard ont produit les cheminées René Brisach et leurs pareilles. Il faut à ces cheminées un soufflet orné de motifs décoratifs en cuivre repoussé inspirés de l'Angélus de Millet et d'autres chefs d'œuvre de l'art . Ainsi se termine, sous la poussière des objets inutiles, la carrière d'un outil millénaire, devenu un élément insigne du kitsch industriel .

 



[1] Michel Wiedemann: "Glossaire des catalogues de la maison Vivez de Bordeaux " in Garona, Cahier N° 13 du CECAES, juin 1996, pp. 117-154.

[2] Bande vidéo en couleurs de format VHS durant une heure dix,  déposée au CECAES et au Musée d'Aquitaine . Tous droits réservés.

[3] Voir  le catalogue de l'exposition du Musée d'Aquitaine  sur le Gabon  (1998) où était présentée une tuyère de soufflet en bois recevant le contenu de deux outres.

[4] R. Grandsaignes d'Hauterive, Dictionnaire des racines des langues européennes, (grec, latin, ancien français, français, espagnol, italien, anglais, allemand ) . Paris, Librairie Larousse, 1949, s. V. Bhel- III, p. 18.

[5] "Das gemeingermanische Wort bezeichnete die als Ganzes abgezogene Haut kleinerer Säugetiere (neuhochdeutsch auch von Vögeln) , die als Lederbeutel, Luftsack u. a. diente . " Der Große Duden, Band 7, Etymologie, Herkunftswörterbuch der deutschen Sprache, bearbeitet … unter Leitung von Dr. Phil. Habil. Paul GREBE, Bibliographisches Institut, Mannheim, 1963, p. 45. [ Le mot protogermanique désignait la peau dépouillée en entier des petits mammifères, et en allemand moderne aussi d'oiseaux , qui servait de bourse de  cuir , de  sac d'air entre autres .]

[6] Der Große Duden, Band 7, Etymologie, Herkunftswörterbuch der deutschen Sprache, bearbeitet … unter Leitung von Dr. Phil. Habil. Paul GREBE, Bibliographisches Institut, Mannheim, 1963, p. 201.

[7] Dictionnaire illustré de la Mythologie et des Antiquités Grecques et Romaines par Pierre Lavedan, Paris, Hachette, 1931, 4ème édition , p. 887 et fig. 857.

[8] Recueil des planches, seconde livraison en deux parties, première partie, 1763, s. V. Balancier, p. 105. [ Nous citons dorénavant pour  sa commodité la pagination du reprint de Readex Microprint Corporation, New York, 1969.]

[9] Recueil de planches, septième livraison ou huitième volume, 1771, s. V.  Orfèvre Jouaillier, Metteur en œuvre, pl. XI, p. 734.

[10] Recueil de planches, sixième livraison ou septième volume, 1769, s. V. Maréchal  Ferrant pl. II et Maréchal grossier, pl. II, p. 634.

[11] Recueil de planches , sixième livraison ou septième volume,  1769, pl. IV & V, Forge des ancres, Plan et Profil d'une chaufferie, et Coupes d'un soufflet et développementdes liteaux . p. 663.

[12] Planches d'Orgue, fig. 23 et article du Tome XV, p. 395-396 de l'éd. originale (Neufchastel , 1765) , p. 585 du reprint Readex Microprint Corporation, New York, 1969.

[13] Recueil de planches, troisième livraison, 1765, s. v. Grosses forges et arts du fer, deuxième section,planches V & VI, p. 334 .

[14] Seconde livraison, en deux parties, première partie, 1763, s. v. Boucher, pl. I, p. 132 & 133.

[15] Recueil de planches, troisième livraison, 1765, s. v.  Ferblantier, pl. II, p. 313.

[16] Seconde livraison en deux parties, première partie, 1763, s.v. Boisselier, pl . & II , p. 130.

[17] Tome  XV, p. 395 a de l'éd. Originale (Neufchastel,1765), p. 585 du reprint Readex Microprint Corporation, New York, 1969.

[18] Ce mot désigne aussi le chercheur de pierre philosophale, qui doit souvent manier le soufflet.

[19] Ce mot rare figure dans le Dictionnaire National de Bescherelle (1865), dans le Nouveau Dictionnaire Universel de Maurice Lachâtre (s.d., vers1871?) qui le définissent autrement: technol. panneau supérieur du soufflet d'un haut-fourneau. Il n'est pas dans Littré, ni dans le T.L.F.

[20] Tome XV, p. 395-397.

[21] Mot français régional existant en gascon sous la forme guingassoun, d'origine inconnue selon Boisgontier.

[22] Littré signale moins précisément: platiron n.m. sorte de clou. Les clous de cette fabrication (de fil de fer ) sont généralement connus sous le nom de bombés, platirons, caboches et boutons. " Enquête, Traité de comm. avec l'Angleterre.t. I, p. 787.

[23] Voir l'article de M.J.P.Hiéret " Vie, mort et résurrection de Sa Majesté Carnaval, roi des Souffle -à-cul de Nontron" in Le Festin, N°25, février 1998, pp. 67-73. On y voit une photo du soufflet monumental promené à travers la ville et portant la devise  "Tous enfants de la même famille".

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